Au Sénégal l’insertion des diplômés dans le monde professionnel est une question récurrente dans les politiques publiques ainsi que dans les universités. Chaque année, le constat reste le même : Le Sénégal peine à résoudre l’équation de l’insertion de ses diplômés dans le monde des entreprises. Des programmes gouvernementaux au secteur privé, les initiatives sont nombreuses, mais le problème reste toujours têtu.
Un problème à l’ampleur difficilement quantifiable
Venus du public ou du privé, la vie des diplômés des universités est un vrai parcours de combattant. Selon le dernier rapport trimestriel de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANDS), Le taux de chômage des personnes âgées de 15 ans ou plus est estimé à 15,7% au Sénégal. Selon Cette même source, ce taux affecte plus les actifs avec diplôme (tranches d’âge 20-24 et 25-29 ans). Plus de 20% d’entre eux ont un niveau Bac+3 ou plus. (Sources : ENES- T4 2017 et ENES- T1 2018).
Qu’ils soient avec ou sans qualification, ces diplômés subissaient la précarité des premiers mois hors du campus. Les rares d’entre eux qui arrivent à trouver un petit boulot sont souvent sans couverture sociale ni contrat de travail écrit. Pour joindre les deux bouts, ils sont exploités dans des stages non rémunérés, à la quête d’une première expérience professionnelle. Selon les statistiques de la banque Mondiale, 2/3 des diplômés mettent plus de 2 ans avant de trouver leur emploi, en Afrique de L’Ouest.
Cependant en voulant étudier plus loin les questions relative à l’emploi des diplômés, on se heurte tout de suite à un réel problème d’accès à l’information et à une quasi impossibilité d’avoir recours à une diversité suffisante de sources et d’informations afin de vérifier les données recueillies. En effet, l’Etat est souvent le seul qui dispose du « monopole de la production et de la circulation de l’information. » Ce constat apparaît particulièrement vrai pour les problèmes du sous-emploi et du chômage qui, comme partout ailleurs, n’ont jamais pu être traités en termes neutres et comportent une forte connotation politique, échappant de ce fait, à toute analyse réellement objective. De ce fait, ce qui est donc considéré comme ‘’non conforme’’ aux attentes des autorités peut ne jamais être rendu public. De plus, si des informations déterminantes sur le marché de l’emploi ne sont jamais diffusées, celles qui le sont ne sont pas pour autant fiables. D’où les critiques que subissent les chiffres de l’ANSD.
Un problème lié à l’état des universités ?
Face aux problèmes d’insertion des diplômés chacun se tourne en premier lieu vers l’Enseignement supérieur, accusé dés lors d’être le responsable. La remise en cause de la qualité de l’Enseignement supérieur sénégalais est quasiment générale. Il est fréquemment le premier accusé et cité en premier lieu dans la majorité des analyses du chômage des diplômés. L’interrogation se porte donc directement sur la qualité de ses programmes, jugés trop théoriques et ne répondant pas aux besoins des entreprises. Jusqu’à l’obtention de son diplôme de sortie, l’étudiant sénégalais n’est nulle part préparé ou mis aux conditions d’entreprise.
Des causes et des facteurs favorisants
A partir des années 2000, le Sénégal a connu une croissance exponentielle des effectifs des étudiants, qui n’a pas son pareil en termes de programmes d’insertion. Cet accroissement du nombre d’étudiants est allé de pair avec un accroissement du nombre des diplômés malgré le taux d’échecs trop élevés (60% à l’UCAD en 2017). De plus, en parallèle de cette massification des effectifs, un essor de la durée des études supérieures s’est effectué, aboutissant aujourd’hui à une situation dans laquelle la structure du flux des étudiants formés au Sénégal est dominée par la présence des diplômés issus des cycles 1 et 2 (Master et Licence) et des formations courtes (BT et BTS).
Deuxièmement, les institutions universitaires classiques ont vu se détériorer leurs conditions de travail et se dégrader la valeur marchande et l’image sociale de leurs diplômes. Les domaines concernés relèvent, en premier lieu, du bloc des disciplines classiques (lettres, sciences humaines et sociales, sciences exactes) et en second lieu, de la médecine et des sciences de l’ingénieur. Un processus de dévalorisation frappe aujourd’hui « l’ensemble des disciplines littéraires, considérées comme ‘’trop théoriques, peu porteuses et peu rentables’’ par les pouvoirs publics et les acteurs privés dans le cadre des options de la nouvelle économie du 21ème siècle. ». Quand ils se présentent sur le marché du travail, les diplômés des facultés souffrent désormais d’une image péjorative associée aux filières universitaires de la ‘‘masse étudiante’’. Il s’agit là, d’un véritable « renversement de situation par rapport aux années 1980-1990 » quand la voie universitaire, était « la principale pourvoyeuse en élites administratives, politiques et partisanes ». Celle-ci tend aujourd’hui à subir un véritable processus de marginalisation et un déclassement institutionnel.
Ainsi l’une des causes du chômage des diplômés est la désadaptation de la formation supérieure aux besoins des secteurs d’activité. Si les questions de l’expansion rapide des effectifs des étudiants et des rigidités internes dans les universités sont évoquées comme étant des causes probables des problèmes d’insertion professionnelle des diplômés, c’est bel et bien la thèse d’une inadaptation de la formation universitaire aux besoins de l’économie qui constitue l’essentiel de la réflexion des différents observateurs du phénomène. Les demandes exprimées par les étudiants et les acteurs du secteur productif sont toujours ignorées dans les programmes et l’enseignement supérieur serait régulé uniquement par l’offre de formation. La construction des programmes ne s’appuierait pas « sur une connaissance précise des compétences exigées, y compris au niveau des filières dont le caractère professionnel est fortement prononcé. ». Finalement, du fait de ce manque d’adaptation de la formation universitaire aux besoins de l’économie, les diplômés seraient tout simplement inaptes à s’insérer sur le marché du travail. Selon cette analyse, en l’absence d’une ‘’mise à niveau’’ rapide de l’Université, la situation de l’emploi des jeunes diplômés ne pourra que s’aggraver du fait de l’accroissement des flux de sortants de l’enseignement supérieur et du dépérissement de l’embauche dans la fonction publique. Les jeunes peinent à s’insérer durablement dans la vie active et la question qui se pose reste la même : Pour quelles raisons les entreprises ne recrutent pas de demandeurs fraichement diplômés ? Les réponses se trouvent dans l’inadéquation entre les besoins des entreprises et les compétences opérationnelles des nouveaux diplômés ainsi que dans la carence d’emplois décents offerts par l’économie nationale. Par ailleurs, les sortants des universités ont toujours tendance à négliger le secteur privé alors que les emplois publics sont en baisse. Faute de conseils et d’orientation pour préparer leur entrée sur le marché du travail, ils décrochent difficilement leur premier emploi. En outre, les entreprises sénégalaises, comme partout dans le monde, exigent des années d’expériences aux demandeurs d’emplois, chose quasi inexistante chez nos jeunes diplômés. On ne peut pas demander à un nouveau diplômé une expérience allant de 2 à 10 ans, alors qu’il n’existe pas d’école-entreprise au Sénégal.
A l’opposé de ce type de raisonnement, certains auteurs retournent totalement le questionnement sur les relations entre le secteur productif et le système universitaire et se demandent si les problèmes d’insertion professionnelle des diplômés sénégalais ne résultent pas plutôt d’une incapacité manifeste de l’Université à influencer l’économie et le marché de l’emploi.
Les solutions « peu visibles » de l’Etat.
Depuis 2005, les pouvoirs publics ont commencé à définir une politique d’aide à l’insertion professionnelle en partant de l’explication du chômage des diplômés par l’insuffisance et l’inadaptation de la formation aux exigences des employeurs qui préfèrent recruter des diplômés titulaires d’une expérience professionnelle. Si son diagnostic apparaît biaisé sous l’influence des organisations internationales, si celui-ci a développé un point de vue en faveur de la simple adaptation de la formation aux besoins de l’économie, il n’en reste pas moins que celui-ci inaugure des programmes ambitieux qu’il serait injuste de vouloir caricaturer à l’excès.. Néanmoins, toutes ces mesures institutionnelles ne pourront être efficaces sans une connaissance approfondie des comportements individuels de recherche d’emploi et de recrutement des entreprises. Or, c’est là que le bas blesse : l’Etat sénégalais impose une surdité et une fermeture sans faille à la communauté universitaire et à ses revendications. Et finalement, il subsiste un absent de taille dans l’établissement du diagnostic du chômage des diplômés : l’étudiant sénégalais, qui n’est jamais consulté pour évaluer, juger, infléchir ou encore moins déterminer les orientations scolaires et universitaire voire socio-économiques du pays. Les protagonistes du problème : les diplômés du supérieur au chômage, leurs familles, les travailleurs précaires, les dirigeants de PME, le réseau associatif et syndicaliste, n’ont pas leur mot à dire, et doivent se contenter (au mieux) d’un rôle de spectateur.
Par Bara DIAW
Parcoursn.com
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